Sortie sur les écrans britanniques de Dheepan, palme d’or 2015 à Cannes et dernier film de Jacques Audiard, sur des réfugiés tamouls arrivant en France. On a rencontré le réalisateur et ainsi que ses comédiens lors du dernier London Film Festival.
Sorti en août 2015 en France, Dheepan sort enfin sur les écrans britanniques le 8 avril dans tous les bons cinémas du royaume.
Dheepan est un combattant des Tigres tamouls. La guerre civile touche à sa fin au Sri Lanka, la défaite est proche, Dheepan décide de fuir. Il emmène avec lui une femme et une petite fille qu'il ne connaît pas, espérant ainsi obtenir plus facilement l'asile politique en Europe. Arrivée à Paris, cette « famille » vivote d'un foyer d'accueil à l'autre, jusqu'à ce que Dheepan obtienne un emploi de gardien d'immeuble en banlieue. Dheepan espère y bâtir une nouvelle vie et construire un véritable foyer pour sa fausse femme et sa fausse fille. Cependant, la violence quotidienne de la cité fait ressurgir les blessures encore ouvertes de la guerre. Le soldat Dheepan va devoir renouer avec ses instincts guerriers pour protéger ce qu'il espérait voir devenir sa « vraie » famille.
« C’est l’histoire de quelqu’un qui n’a pas de nom, pas de visage, pas de corps, pas de pensée, et le film permet de lui donner un nom, un corps, un visage et de le faire en cinémascope. »
résume Jacques Audiard, fils du dialoguiste Michel Audiard et cinéaste de De Rouille et D’os (2012), Un Prophète et De battre mon cœur s’est arrêté.
C’est à partir de ce synopsis que Jacques Audiard a réalisé Dheepan, à la fois une sorte de critique sociale sur l’accueil des réfugiés politiques en France mais aussi un thriller, pour la seconde partie du film. Dans Dheepan, Audiard nous donne à voir le point de vue de ces nouveaux arrivants dans un pays étranger, souvent indéchiffrable à leurs yeux: La France. Ne parlant pas un mot de français, cette famille factice va se retrouver à vivre dans une banlieue grise et anxiogène.
Cette barrière de la langue a été aussi un des obstacles au tournage, comme l’explique, l’actrice du film, Kalieaswari Srinivasan :
« Pour moi, que ce soit le tamoul ou le français, ce sont des langages étrangers. Même si je parle le tamoul, c’est très différent du tamoul que l’on parle dans le film. C’était difficile pour moi car il fallait que cela sonne vrai et correct. Et puis, le réalisateur étant français, toutes les directions d’acteur étaient en français. Heureusement, on avait une traductrice qui fait partie intégrante du film. Mais je pense que la communication est allée au delà des difficultés de langages. On répétait beaucoup avant de tourner et cela nous a aidé à réussir à transcender la barrière de la langue, c’est la beauté de ce film. »
Bien sûr, vu le sujet du film, on ne peut pas s’empêcher de se demander si Dheepan ne fait pas écho à l’actualité de ces derniers mois, avec l’afflux de réfugiés eu Europe.
On a posé la question à Jacques Audiard, qui s’en défend :
« Non je ne pense pas. Ce n’était pas du tout mon projet (de faire un film sur les conditions d’accueil des migrants en France), c’est avant tout une fiction. Si vous demandez à Shoba (qui joue Dheepan), comment cela s’est passé pour lui son arrivée en France, il vous dira qu’il a été très bien accueilli. »
Antonythasan Jesuthasan ou Shoba pour ses amis, qui joue Dheepan a pourtant un parcours très similaire à son personnage. Lui aussi, il a quitté le Sri Lanka pour fuir la guerre, en 1993 pour rejoindre la France. Ancien soldat des tigres tamouls, il vit à présent en France et écrit romans et nouvelles. Et pourtant, il nous explique que Dheepan avait été imaginé par Audiard, bien avant qu’ils ne se rencontrent :
« Je n’ai pas apporté quoi que ce soit de mon histoire personnelle dans la création du personnage car Jacques a crée le personnage bien avant de m’avoir rencontré. Tout ce que je fais dans le film, c’est essayer de refléter ce que Jacques avait en tête pour dépeindre Dheepan. »
Alors pourquoi avoir choisi ce sujet ? Audiard s’explique :
« Au départ, il y a 5 ans, je voulais faire un remake des Chiens de Paille de Sam Peckinpah mais avec des immigrants venants de loin vivant dans une banlieue française. Et après, je me suis posé la question de la langue et je me suis dit que les personnages ne devaient avoir aucun rapport avec la langue française donc qu’ils n’appartenaient pas aux anciennes colonies françaises. Par une espèce de déduction, je suis arrivé au Sri Lanka et cela a été une surprise pour moi, car en France, on a été très peu informée sur le conflit en Sri Lanka. J’ai commencé à me renseigner, à lire des documents anglais, à voir des films dont Killing Fields et cela m’a donné envie d’en faire un film. »
Primé au dernier festival de Cannes par une Palme d’or, Dheepan a certes partagé les avis. Certains lui reprochent une vision ultra pessimiste de la vie en banlieue, d’autres d’avoir fait de Dheepan une sorte de justicier. Mais ce qui touche surtout le spectateur, c’est pour une fois, de se retrouver dans les chaussures d’un réfugié. De voir notre société à travers leurs yeux et de comprendre parfois les incompréhensions qui peuvent en découler, des deux côtés.
Sur l’impact de son film sur l’opinion publique, Audiard ne se fait aucune illusion :
« J’aimerai bien que le cinéma ait ce pouvoir la mais je n’y crois pas beaucoup, après je ne sais pas, il y a une part de mauvais hasard car c’est bizarre que la réalité vous rattrape, c’est bien que le cinéma ait une image d’avance. Et quand il une image d’avance, c’est qu’il est déjà un peu en retard. »